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L'ORGANISTRUM (Ancêtre de la vielle à roue)

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Le « Porche de La Gloire » construit entre 1168 et 1188, par Maître Matéo (Mathieu),

s'élève à l'entrée de la nef romane de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne).

L'origine du nom "organistrum" proviendrait de la contraction de 2 mots latins "organum" qui signifie "orgue" et de "instrumentum" qui signifie "instrument".

Le terme « organum » a également une autre signification qui correspondrait à une forme de chant religieux à plusieurs voix, à partir du 11ème siècle.

 

C’est sous l’appellation "organistrumque cet instrument de musique à cordes est connu au Moyen-Âge. L’organistrum est un instrument de musique à cordes frottées du Haut Moyen-Âge, utilisé pour accompagner les chants religieux. En général, Il est constitué de 12 tirettes (Sautereaux) pouvant modifier la longueur vibrante (Diapason) des cordes et d’une roue actionnée par une manivelle. 

 

Deux personnes assises l’une à côté de l’autre sont nécessaires pour faire sonner l'instrument. L’organistrum est posé à plat verticalement sur les genoux. Une personne actionne les tirettes pour jouer les notes de musique et l'autre tourne la manivelle, tout en maintenant l’instrument.

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Fac-similé d'un organistrum équipé de 12 tirettes

Organistrum - Portail de la cathédrale d' Ourense (Galice - Espagne)

Les différentes archives de l’histoire musicale recensées jusqu’au 10ème siècle ne stipulent pas l’existence de l’organistrum. Le moine Jérôme de Stridon (347-420) écrit une lettre dans laquelle il cite les différents instruments de musique utilisés à cette époque. L’organistrum n'y apparaît pas. 

 

Également, l’abbé et historien Aymerie de Peyrac (1377-1406) de Moissac (Tarn-et-Garonne) cite dans un écrit en latin sur Charlemagne (742-814), la liste de 24 instruments de musique. L’organistrum n’apparait pas dans cet inventaire. 

 

C’est dans le traité de Wolfenbüttel rédigé vers 1100 et conservé à la bibliothèque du monastère de Saint-Pantaléon de Cologne (Allemagne), que l’on trouve pour la première fois la mention « organistrum ». 

 

De même, dans le manuscrit « Hortus deliciarum » réalisé entre 1159 et 1175 et principalement élaboré par Herrade de Landsberg (1125-1195), abbesse à l’abbaye de Hohenbourg, monastère alsacien installé sur le Mont Sainte-Odile (France), figure la mention et la présence de l’organistrum sur une enluminure nommée « La Philosophie et les sept Arts libéraux ». 

 

En 1764, Martin Gerbert, prince abbé de l’abbaye de Sainte-Blaise (Waldshut – Fribourg-en-Brisgau – Allemagne) transcrit plusieurs manuscrits rédigés en latin sur la musique religieuse, dans un traité nommé « Decantu et musica sacra », publié en 1774. Plusieurs citations apportent d’autres renseignements sur l’organistrum, notamment dans les traités « quomodo organistrum construatur » et « mensura organistri ».

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Enluminure "La Philosophie et les 7 Arts libéraux"

Manuscrit "Hortus deliciarum" réalisé entre 1159 et 1175

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Détail de l'enluminure "La Philosophie et les 7 Arts libéraux"

Manuscrit "Hortus deliciarum" réalisé entre 1159 et 1175

La genèse de l’organistrum semble se situer probablement en Allemagne, au regard des traités et des manuscrits rédigés en latin, retrouvés dans les monastères bénédictins allemands.

L’organistrum va se répandre dans l’Europe chrétienne, notamment en Espagne, France, Irlande et Italie.

Actuellement, les principales représentations visibles se trouvent en France et en Espagne.

En 1163, commencent les travaux de construction de la cathédrale Notre-Dame de Paris (France) et c’est plus tard en 1208, que les portails de celle-ci seront construits et décorés. Sur le portail de Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris, il est possible d’observer un organistrum moins élaboré, de forme oblongue, équipé de 4 cordes et 6 tirettes.

La construction de la cathédrale romane de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) débute en 1075 et se poursuivra jusqu’en 1211. Parfaitement conservé, le « Porche de La Gloire » construit entre 1168 et 1188, par Maître Matéo (Mathieu), s’élève à l’entrée de la nef romane de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne). Il permet d’observer dans la voussure rayonnant autour du tympan, les « 24 vieillards de l’Apocalypse » qui tiennent des instruments de musique, dont 2 vieillards ou prophètes (Probablement appelés Schemaeja et Iddo) avec un organistrum. Il est possible de lire l’inscription en latin gravée dans la pierre sous les linteaux de la porte centrale :

Transcription en latin :

« Ano abincarnation dni MCLXXXVIII era MCCXXVI die kl aprilis super liminaria principalium portalium ecclesie beati ia cobi sunt collocata per magistrum Matheum que a fundamentis ipsorum portalium gessit masgisterium ».

Traduction en français :

« An de l’Incarnation du Seigneur 1188, soit 1226 de l’ère, 1er avril, les linteaux des portes principales de l’église Saint-Jacques ont été mis en place par Maître Mathieu, qui occupa la maîtrise depuis la fondation de ces portails ».

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Portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris (France), il est possible d'observer un organistrum de forme oblongue, équipé de 4 cordes et 6 tirettes.

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Le "Porche de La Gloire" et les "24 vieillards de l'Apocalypse"

Cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle (Espagne)

En haut, au centre de la voussure rayonnant autour du tympan,

il est possible d'observer 2 vieillards qui tiennent un organistrum.

Représentations de l'organistrum en Espagne 

Portique de l' église de San Miguel de Estella (Navarre) (1147).

Portique de l' église de Santo Domingo de Soria (Castille et Léon) (1150).
(Il est considéré comme l' organistrum le plus ancien de l'iconographie médiévale espagnole)

Portique de la Gloire , Cathédrale de Saint-Jacques- de- Compostelle (Galice) (1188).

Portique de l' église de San Esteban , Moradillo de Sedano (Castille et Léon) (1188).

Portique de l' église de la Virgen de la Peña de Sepúlveda (Castille et Léon) (12ème siècle).

Portique du Paradis , Cathédrale d' Ourense (Galice) ( 12ème siècle ).

Portique de la Majesté , Collégiale de Toro de Zamora , (Castille et Léon) (12ème siècle).

Portique nord , Collégiale de Toro de Zamora, (Castille et Léon) (12ème siècle ).

Portique de l' église d' Ahedo de Bruton (Castille et Léon) (12ème siècle).

Portique de Sarmental , Cathédrale de Burgos (Castille et Léon) (13ème siècle ).

Portique de l' église de Santa María La Real de Sasamón (Castille et Léon), (13ème siècle).

Cathédrale de Huesca. Fresque du Musée Diocésain . Tombe de Juan Martín de los Campaneros. (Castille et Léon) (13ème siècle).

Portique de la cathédrale de León (Castille et Léon) (13ème siècle ) .

Portique de la Cathédrale de Burgo de Osma (Castille et Léon) (13ème siècle).

Le livre d' Alexandre , verset 1545 (13ème siècle).

Situation géographique :

Galice, Castille et Léon, Navarre - Espagne

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Galice - Espagne

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Castille et Léon - Espagne

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Navarre - Espagne

Différents modèles d'organistrum

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Eglise de l'Ascension d' Ahedo del Butron (Castille et Léon)

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Eglise San Miguel de Estella (Navarre)

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Eglise San Esteban de Moradillo de Sedano

(Castille et Léon)

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"Porche de La Gloire" - Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle (Galice).

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Cathédrale d'Ourense (Galice)

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Eglise de Santa-Maria de Toro

(Castille et Léon)

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Eglise San Domingo de Soria

(Castille et Léon)

Représentations de l'organistrum en France

Cathédrale Notre-Dame de Paris (Ile-de-France)

Abbaye Saint-Georges de Boscherville de Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime)

(Dont une charte-pancarte de 1080 décrit les travaux avec précision)

Eglise Notre-Dame de Vermenton (Yonne)

(Dont les parties les plus anciennes de l’édifice remontent à une période entre 1150 et 1160)

Eglise de Honnecourt-sur-Escaut (Nord)

(Ancienne église abbatiale dont la tour datait du 12ème siècle fut détruite en 1917)

Eglise Saint-Nicolas de Civray (Vienne)

Situation géographique :

Saint-Martin-de-Boscherville, Honnecourt-sur-Escaut, Vermenton, Civray

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Différents modèles d'organistrum

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Organistrum - Abbaye Saint-Georges de Boscherville

Saint-Martin de Boscherville (Seine-Maritime)

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Organistrum - Eglise Notre-Dame de Vermenton

(Yonne)

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Organistrum de forme oblongue,

équipé de 4 cordes et 6 tirettes.

Portail Sainte-Anne

Cathédrale Notre-Dame de Paris 

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Enluminure représentant le Roi David et 2 joueurs d'organistrum à ses pieds

(12ème - 13ème siècle) - Possesseur : Abbaye Sainte-Rictrude de Marchiennes (Nord)

Enluminure représentant 2 joueurs d'organistrum

(Début 13ème siècle) - Bibliothèque municipale

de la  ville de Nice (Alpes Maritimes)

Représentation de l'organistrum en Italie

La basilique de Sainte-Marie-Majeure de Vercelli qui abritait de nombreuses mosaïques fut détruite en 1777. Au sol, il était possible de voir une mosaïque datée entre 1140 et 1148 représentant le roi David avec 10 joueurs, dont 2 hommes assis qui jouaient de l’organistrum.

Une gravure a été reproduite et est actuellement conservée au musée civique de Vercelli (Piémont).

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Situation géographique de Vercelli (Piémont)

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Gravure reproduisant 2 joueurs d'organistrum - Vercelli (Piémont)

Représentation de l'organistrum en Ecosse

La bibliothèque universitaire de Glasgow conserve un psautier du 12ème siècle où figure une enluminure avec 2 joueurs d'organistrum.

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Situation géographique de Glasgow (Ecosse)

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 Enluminure avec 2 joueurs d'organistrum 

Glasgow (Ecosse)

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Situation géographique de Ljubljana (Slovénie)

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Roue (3340-3030 av. J.C.) et son axe (3360-3045 av. J.C.)

en bois découverts en 2002, enfouis dans un marais

près de Ljubljana (Slovénie)

Dans l’Antiquité, on utilisait une sorte d’ « orgue » que l’on nommait « hydraulos ou hydraule » (hydre, l'eau et aulos, le tuyau) pour accompagner les chants religieux. C’est Ctésibios (3ème siècle avant J.C.) qui eut l’idée de faire sonner des tuyaux avec de l’air maintenu sous pression par un réservoir d’eau.

 

Au cours du Moyen Âge, c’est un petit orgue modifié et ventilé par un soufflet, très limité du fait de sa conception et peu fiable à cause des fuites récurrentes de son système qui est utilisé pour accompagner les chants religieux. Pour pallier à ce problème, on tend à trouver un instrument de musique capable de maintenir ou moduler une ou plusieurs notes de musique. C’est l’organistrum qui va supplanter l’orgue pendant une période limitée.

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Orgue du Moyen-Âge ventilé par un soufflet

Le système des cordes frottées par la roue de l’organistrum démontre une technologie très élaborée et complexe. Ainsi, la forme de la caisse de résonance évolue au cours du 12ème siècle (Oblongue ou en 8). L’organistrum est équipé de 8 à 12 tirettes (Sautereaux) selon certains modèles et de 3 cordes en boyau accordées en quinte. Son ambitus donne semble-t-il une gamme chromatique « Do, do#, ré, ré#, mi, fa, fa#, sol, sol#, la, la#, si, do ». Ses dimensions sont estimées à 850 mm pour la longueur, 220 mm pour la largeur et 120 mm pour la hauteur.

 

Au 12ème siècle, l’Europe va connaître un progrès industriel et une croissance économique notoires. Ces 2 facteurs vont contribuer à accroître les innovations et les inventions remarquables. C’est certainement à cette période que l’organistrum va connaître sa fin. Les raisons sont probablement liées à l’utilisation de l’instrument, 2 personnes sont nécessaires pour le faire sonner, mais aussi l’encombrement, le poids et les faibles possibilités musicales. Il ne correspond plus aux exigences demandées. Les nouvelles technologies et les nouvelles connaissances qui modifient la facture de l’orgue vont contribuer à lui porter le coup de grâce dans son format existant.

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Ambitus de l'organistrum

Orgue à soufflet

La transformation radicale de l’instrument va lui donner un second souffle. La conception est modifiée, le format est réduit et le clavier est inversé. L’apport de nouvelles touches ouvrent de nouvelles perspectives musicales. Désormais, 1 seule personne est nécessaire pour produire une mélodie. Les 2 mains peuvent agir indépendamment, l’une s’active sur le clavier à jouer les notes de musique et l’autre tourne la roue avec la manivelle.

 

Ce nouvel instrument de musique renommé « Chifonie » connaitra un essor jusqu’au 15ème siècle environ.

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2 joueurs de chifonie

Enluminure extraite des Cantigas de Santa Maria (13ème siècle) - Espagne

Daniel HAFFNER - Mars 2023

Il est possible d'envisager l'existence de l'organistrum bien avant les premières et les rares descriptions et représentations de celui-ci. L'apport de la roue rotative dans le corps de l'instrument reste énigmatique. Le système d'excitation des cordes avec une roue était déjà probablement connu. La plus ancienne roue en bois montée sur un axe a été découverte en 2002, en parfait état, enfouie dans un marais près de Ljubljana (Slovénie). cet artéfact néolithique est daté au radiocarbone de 3340-3030 avant J.C. pour la roue et de 3360-3045 avant J.C. pour l'axe.

Organistrum - Eglise Saint-Nicolas de Civray (Vienne)

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