DULCIMER DES APPALACHES
Savigné-sur-Lathan (Indre-et-Loire) - FRANCE
Lutherie HAFFNER
Historique
Au 6ème siècle avant J.-C., le philosophe Pythagore, mathématicien et scientifique de renom, découvrit la loi physique fondamentale de la musique en lien avec la mystique du nombre.
De nombreuses cithares à bourdons ont pour origine un ancien instrument grec d'enseignement théorique en musique et en physique, appelé le "monocorde".
L'appellation "dulcimer" provient du terme latin "dulce melos" (dulcis qui signifie "doux" et du grec ancien "melos" qui signifie "chant","air"). La dénomination "dulce melos", désignant l'instrument de musique, apparaît dans la littérature en latin du Moyen âge, notamment dans les recueils de psaumes.
Ce terme a été francisé au Moyen âge avec de nombreuses orthographes, comme le "doulcemer", le "doulce-mer", ou la "doulcemelle". La désignation anglaise "dowsmel" (1455), "dowsemeris" et "dowcemere" (1474) puis "doucemer" (1512) évoluera pour donner plus tard l'appellation de "dulcimer".
Le nom de "doulcemelle" fait probablement référence à la douceur sonore de l'instrument de musique.
Michaël Praetorius (1571-1621) décrit de façon précise un instrument de musique nommé "Scheitholt" * (Bûche de bois) et la manière d'en jouer, dans son "Syntagma musicum" sur la musicologie sacrée et profane qui résume toute l’histoire de la musique et des instruments, édité en 1619.
* Scheitholz : Souvent orthographié "scheitholt" (scheit : pièce ou morceau - holt en bas allemand ou holz : bois)
Howard Rugg et Steve Jackel (1973)
Howard Rugg
James Edward Thomas (1850-1933)
Loraine Wyman (1885-1937)
tenant un dulcimer des Appalaches (Magazine américain Vogue 1917)
Dulcimer des Appalaches fabriqué par James Edward Thomas (1850–1933)
Description :
Fond, côtés, table d'harmonie et touche en peuplier peint en noir. 17 frettes en fer.
Étiquette manuscrite: fabriqué par James Edward Thomas le 10 septembre 1913
Museum of Fine Arts de Boston (Massachusetts) - USA
Jean Ritchie et son dulcimer (1922-2015)
Sur la photographie de gauche, il est possible de distinguer un frettage sur la touche du dulcimer positionné sous les 2 premières cordes mélodiques (Chanterelles), alors que la 3ème corde n'a qu'une fonction d'accompagnement (Bourdon). Le positionnement des cordes rappelle sans équivoque celui de la "scheitholz" décrit par Michael Praetorius.
Jean Ritchie et son dulcimer à 3 cordes (1962)
Pythagore et son monocorde
Cathédrale de Chartres - FRANCE
Dulce melos - Détail du tableau
"Marie Reine du Paradis"
(15ème siècle)
Michaël Praetorius (1571-1621)
(Gravure sur bois)
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o Scheitholz
Reproduction d'une scheitholz
en relief sur un tableau en bois
(1600)
Le "dulcimer des Appalaches" (Appalachian dulcimer ou Mountain dulcimer) a probablement pour origine la "Scheitholz" .
La genèse de cet instrument de musique se situe principalement en Europe septentrionale.
Il est important de préciser que le dulcimer des Appalaches n'a pas de précédent connu en Irlande ou en Écosse.
La colonisation de l’Amérique du Nord par les Européens commencée dès la fin du 16ème siècle, a connu au 17ème siècle, deux grandes vagues migratoires de paysans et d'artisans allemands, irlandais et écossais, parmi les colonies anglaises déjà présentes. Les colons allemands s'installent principalement en Pennsylvanie, alors que les irlandais et les écossais s'installent dans le Kentucky et la Virginie le long de la rivière "Powell" et de "Wilderness Road". La "scheitholz" apportée par les pionniers allemands, est appelée "cithare" (Zitter ou zither), selon l'héritage culturel de certains d'entre-eux.
Au 19ème siècle, la présence du dulcimer des Appalaches parmi les communautés irlandaises et écossaises installées depuis plusieurs décennies reste énigmatique. Il est possible de penser que des liens socio-culturels se sont développés entre les communautés allemande, irlandaise et écossaise et favorisent la diffusion de la "scheitholz". L'instrument de musique a probablement été transformé et adapté en fonction de la disponibilité des matériaux et de l'outillage, mais aussi pour perpétuer la culture musicale d'origine celtique de l'époque.
James Edward Thomas, alias "Oncle Ed", né en 1850, dans le comté de Letcher du Kentucky (USA), fabrique des dulcimers qu'il commercialise dans les comtés de Letcher et Knott, notamment dans le magasin général Hindman, dès 1871. Ses dulcimers se vendent pour quelques dollars ou sont échangés contre de la nourriture ou des fournitures. Il fabrique plus de 1500 instruments au cours de sa carrière, jusqu'à deux ans avant sa mort en 1933. De nombreux fabricants de dulcimer des Appalaches considèrent James Edward Thomas comme le premier fabricant de dulcimer du Kentucky.
Au cours des années 1960 (Période de la Folk Music), plusieurs luthiers parmi les plus connus, Homer Ledford, Lynn Mac Spadden, Aw Jeffreys, s'installent dans les montagnes des Appalaches et produisent de nombreux instruments de musique.
En 1969, Michael et Howard Rugg créent la société "Capritaurus" et s’installent à Feld (Californie - USA). Ils apportent plusieurs modifications à l'instrument de musique, en remplaçant les chevilles en bois par des mécaniques pour l'accordage et en modifiant la forme, pour faciliter l'usage de celui-ci.
A la fin des années 1980, l'intérêt pour le dulcimer est décroissant et le marché s’effondre. Howard Rugg et Steve Jackel (Partenaire depuis 1973) décident de mettre fin à leur partenariat en 1989, et vendent l'entreprise à "Folkcraft" implantée à Woodburn (Indiana - USA).
Howard Rugg estime que plus de 20 000 dulcimers issus de sa production ont été vendus de 1969 à 1989 (Dixit Howard Rugg : "quatre à six par jour, jusqu’à dix par jour pendant la période de Noël").
Aujourd'hui, l'instrument de musique reste très présent dans le milieu de la musique folk américaine, grâce à de nombreux dulcimeristes tels que Robert Force, Jean Ritchie, Mary Rhoads, Richard Fariña, David Schnaufer, Stephen Seifert, Bing Futch, John Pearse, Margaret Mac Arthur. Il est envisageable d' estimer que plusieurs dizaines de milliers de joueurs de dulcimer des Appalaches utilisent de façon régulière ou irrégulière celui-ci.
Il faut également signaler le travail de recherches * de Ralph Lee Smith considéré comme la plus haute autorité en ce qui concerne l'histoire et la musique du dulcimer et L. Alan Smith qui reconstituent l’histoire des anciens dulcimers.
* Développement organologique du dulcimer en trois périodes (Transitionnelle (1700-1800) - Traditionnelle (1800-1940 - Contemporaine (après 1940).
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Situation géographique des montagnes Appalaches (USA)
"Wilderness Road" et "Powell River"
Colonisation de l’Amérique du Nord par les Européens (1700)
En FRANCE, évoquer l’historique du "dulcimer" (Nom vernaculaire) reste particulièrement difficile. Aucun document ne permet de mentionner son existence au cours des siècles passés. La mention de "Doulcemelle" (Dulce melos) apparaît plusieurs fois dans certains documents historiques, plus particulièrement dans un traité en latin rédigé en 1440 par Henri Arnaut de Zwolle* (1400-1466), médecin, astronome et organiste au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Il ne s'agit en aucun cas d'un instrument de musique semblable au dulcimer.
Contrairement aux idées reçues, le dulcimer n'est peut être pas un instrument de musique d'origine celtique, même si on le retrouve principalement en Bretagne pendant les années 1970. Sa présence est énigmatique, notamment en raison de sa forme en "sablier allongé" (Hourglass) ou en "goutte d'eau" (Teardrop), déjà utilisée par de nombreux luthiers américains depuis les années 1850. Le retour en FRANCE de la "scheitholt" transformée et adaptée par les colons européens établis en Amérique du Nord, depuis la fin du 16ème siècle, peut être envisagée.
Après une longue période d'oubli, le dulcimer est remis à l'honneur pendant le "mouvement folk" et redevient un instrument de musique très populaire grâce une génération de musiciens comme Claude Besson, Michel Legoubé, Serge et Patrick DESAUNAY, John Molineux, Roger Nicholson, Marc Robine, et la mise en place de stages d'initiation à la pratique instrumentale et à la fabrication.
Pour répondre à une demande grandissante, l'entreprise "Camac" fondée en 1972 et installée à Mouzeil (Bretagne - FRANCE) produit de nombreux dulcimers. Certains musiciens fabriquent leur propre instrument. Un kit de dulcimer "JLC" (264 Francs) disponible chez Musiscop et Folk Quincampoix (Paris) permet à de nombreux amateurs de fabriquer leur instrument. Il faut citer Marc Robine, Marc Humblet, Jean-Luc Charnoz, Serge et Patrick DESAUNAY, comme principaux fabricants de dulcimers.
Depuis 2010, malgré l'émergence d'autres instruments de musique, comme la vielle à roue et les différentes cornemuses, le dulcimer est toujours présent dans la culture populaire française. L'instrument évolue avec une nouvelle lutherie qui intègre la sonorisation et prend en considération les nouvelles techniques de jeu (Tapping) développées par des musiciens actuels, tels que Cristian Huet, Pierre Lainé, Sylvain Lacroix, John Molineux. Il faut citer Dan Evans (GB) et Roland Kroell (D) qui contribuent à maintenir la présence du dulcimer dans leur pays respectif.
En 2019, la lutherie HAFFNER (Savigné-sur-Lathan - FRANCE) a développé un système de réglages individuels des sillets qui permet le montage des cordes de différents diamètres. Ce dispositif contribue à affiner la justesse sonore de l'instrument, évitant ainsi le positionnement délicat d'un sillet unique compensé comme sur les guitares. Une sonorisation intégrée composée de deux micros et d'une prise jack stéréo est installée sur l'instrument. Puis en 2020, un dulcimer électrique est fabriqué pour permettre aux dulcimeristes d'explorer d'autres possibilités sonores et musicales et d'élargir leur répertoire.
Aujourd’hui en FRANCE, on peut estimer que plusieurs centaines de musiciens jouent du dulcimer.
Cristian HUET
Pierre LAINE
John MOLINEUX
Florian HAFFNER
Daniel HAFFNER
Lutherie HAFFNER (Savigné-sur-Lathan) - FRANCE